Empreinte - Bureau de paysage

Quelle nature ?

08 mars 2019

Le projet de l'espace public au cœur du quartier dépasse largement la question du dessin d'un jardin.  L'agence lilloise Empreinte - Bureau de paysage s'est engagée dans une réflexion plus globale qui touche autant aux usages qu'à la place de la nature en ville et aux conditions de sa gestion. Tour d'horizon de ces questions entremêlées avec les concepteurs.

Où en est le projet des espaces publics de Saint-Vincent-de-Paul ?
Il est en cours d’élaboration. Ses orientations générales ont été précisées et nous vérifions progressivement différentes hypothèses de programmation et d'aménagement aux côtés de P&Ma (1). Nous le finaliserons après l’élaboration des projets des différents îlots du quartier. Nous pourrons dès lors intégrer à nos réflexions les futurs bâtiments, leurs programmes et leur disposition, qui sont très directement en lien avec l’espace public.

Comment avez-vous appréhendé le site ? Que vous a-t-il inspiré ?
Nous avons été marqués par les jardins, luxuriants, du couvent de la Visitation, de la Fondation Cartier, et de l’Œuvre des jeunes filles aveugles, qui enserrent l’enclos de l’ancien hôpital. Ensemble, ils présentent un potentiel d’enrichissement de la trame verte parisienne, si, grâce au projet, on inverse le rapport entre minéral et végétal au sein du site qui est aujourd’hui très peu planté. Une continuité avec les masses végétales qui le bordent serait ainsi créée. Nous avons également été conquis par l’occupation transitoire des Grands Voisins. Ils ont su introduire et faire vivre la convivialité, la solidarité, l’innovation sociale et écologique. Aujourd’hui nous réfléchissons à comment pérenniser cette expérience. Une des idées essentielles est d’impliquer les habitants dans la genèse et dans la vie des espaces publics.

Quel projet découle-t-il de cette lecture du site ?
Les deux voies perpendiculaires qui traversent l’ancien hôpital sont transformées en une « croisée paysagère » piétonne. Elle remplit des fonctions environnementales et pratiques aussi diverses que complémentaires : remettre le végétal au cœur du site, favoriser l’infiltration de l’eau de pluie, développer la biodiversité, accueillir différents usages pour faire vivre l’espace public, assurer des déplacements confortables au sein du quartier.

La réflexion porte donc en particulier sur la nature des sols de l’espaces public pour répondre aux besoins des usages quotidiens et à l’impératif de la re-végétalisation. L’équipement mutualisé et les activités du futur quartier seront accessibles par des parvis et des cheminements piétons qui doivent être praticables par tous les temps. Nous utiliserons partiellement des matériaux minéraux comme des dalles de béton mais avec des joints engazonnés, permettant l’infiltration des eaux de pluie. Les véhicules ne circuleront dans le quartier que le long d’une voie périphérique. Pas question de réaliser une route avec un enrobé de bitume. Nous la pensons comme une allée paysagère, partagée entre véhicules, piétons et cyclistes, bordée par la végétation, et dont le sol favorisera la végétation et l’infiltration des eaux de pluie.

Et pour les usages ? Qu’est-il prévu, à ce stade ?
Comme elle est ouverte à tous — résidents, riverains et visiteurs — la croisée paysagère centrale abritera l’ensemble des pratiques usuelles d’un parc parisien : se promener, se détendre, faire jouer les enfants… Mais, pour accueillir une diversité d’usages au cours d’une journée et faciliter ainsi la cohabitation des pratiques de loisir et des pratiques résidentielles, nous étudions la mise en place d’installations récréatives mobiles. Une autre innovation tient dans la définition « d’espaces des possibles ». Il s’agit de permettre l’implication des futurs habitants et usagers du quartier tant au niveau de la conception que de la gestion ou de l’animation. Certains, « prêts à finir », seraient confiés aux habitants considérés comme des acteurs à part entière de l’espace public. D’autres, dits « collectifs », se définiraient comme des lieux de partage animés par des habitants, des associations ou des acteurs publics. Quel que soit leur statut et leur usage tous ces espaces respectent les principes fondamentaux de biodiversité et d’infiltration naturelle de l’eau de pluie.

Comment concevez-vous ces deux dimensions fondamentales du projet ?
Elles vont de pair, car les secteurs dévolus à l’infiltration des eaux sont également les lieux d’une végétation étoffée, propice au développement de la biodiversité. L’objectif est d’infiltrer dans le sol l’intégralité des pluies courantes. En exploitant la légère pente du site, nous faisons circuler l’eau grâce à un réseau de noues plantées, des fossés étroits de très faible profondeur. Les noues absorbent une partie de l’eau et acheminent le reste jusqu’à des espaces d’infiltration de pleine terre, situés à différents niveaux. L’eau de pluie n’est donc pas canalisée dans des tuyaux cachés. Son cheminement est visible partout dans l’espace public et contribue à son dessin et à son intérêt particulier. Thierry Maytraud et son agence ATM, spécialiste de la gestion de l’eau pluviale en ville, nous accompagnent dans ce travail. Pour la biodiversité, en plus de conforter la végétation, nous souhaiterions réaliser des ouvertures dans le mur d’enceinte du site pour faire circuler la petite faune entre celui-ci et les grands jardins autour. Mais les accords avec leurs propriétaires sont complexes à obtenir.

L’agriculture urbaine apparaît comme une manière de développer la biodiversité en ville. Allez-vous la développer à Saint-Vincent-de-Paul ?
C’est au programme. Nous étudions la question aux côtés d’Anne-Cecile Daniel, spécialiste des questions d'agriculture urbaine et de l’agence Biodiversita (écologue du projet). Une hypothèse est de produire in situ des essences végétales régionales. Elles sont désormais difficiles à identifier dans le commerce, qui regorge de plantes aux génomes hybrides. Pour l’instant, rien ne peut être garanti, car il faut trouver un producteur à même de mettre en œuvre ce programme. Nous avons exclu, en revanche, une agriculture maraîchère qui, pour être viable, nécessite de belles et importantes surfaces bien exposées au soleil. Or, à Saint-Vincent-de-Paul, les espaces sont limités.

Parallèlement se pose la question de la gestion de l’agriculture urbaine au sein du site. Nous envisageons à ce stade de la confier à un jardinier, ou à un « agriculteur urbain » qui entretiendrait ou cultiverait les lieux en lien avec les habitants, contribuant à renforcer le lien social. Sa mission pourrait être éventuellement étendue à l’ensemble de l’espace public du quartier dans un souci de cohérence environnementale.

(1) Paris & Métropole aménagement.

Les orientations fondamentales du projet de paysage de Saint-Vincent-de-Paul seront présentées à l'occasion de la prochaine Petite Conférence du 8 avril 2019, organisée par P&Ma et le CAUE75 à la Lingerie des Grands Voisins.
Participation sur inscription via ce lien.

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