Jean-Louis Missika

Faire Paris autrement

18 octobre 2018

© Henri Garat - Mairie de Paris

Cyrille Poy : En 2014, vous avez lancé l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris, qui a inauguré une nouvelle façon de faire la ville. Des programmations originales ont émergé, des acteurs nouveaux, de nouvelles façons de faire la ville, de nouveaux montages ont été mis en place. En quoi, le projet Saint-Vincent-de-Paul s’inscrit-il dans cette volonté de faire Paris autrement et d’en faire autrement une ville durable ?

Jean-Louis Missika : La façon dont s’est développé l’urbanisme temporaire à Saint-Vincent-de-Paul est déjà une nouvelle façon de faire la ville. Nous avons passé une convention avec les trois associations, Aurore, Yes We Camp et Plateau Urbain. Ce sont elles qui se sont chargées de choisir les participants des Grands Voisins. Ce qui est très important et intéressant, c’est de voir à quel point la combinaison du logement d’urgence, du squat culturel et artistique, du tiers lieu d’innovation, de l’agriculture urbaine, du café solidaire… de cet ensemble de choses souvent traitées séparément dans la ville, a provoqué des rencontres essentielles, notamment pour la réinsertion des personnes en difficulté.

Tous les témoignages que nous avons pu avoir l’ont montré. Nous espérons que les Grands Voisins aient imprimé une telle mémoire au lieu, une telle force que cela va donner de l’impulsion au nouvel écoquartier qui sera construit dans le cadre de la ZAC.

Sur les nouvelles façons de faire la ville, il n’y a pas que Réinventer Paris. Il y a aussi l’appel à projets Parisculteur, il y a les collectifs de citoyens et d’experts pour réaménager les sept grandes places parisiennes, il y a le budget participatif, le permis de végétaliser. Ce que je veux dire, c’est que chacun des adjoints, ou chacun des maires d’arrondissement, s’occupe de ceci ou de cela, mais il faut avoir une vision d’ensemble pour comprendre que tout cela a une cohérence et va dans la même direction. C’est à dire d’abord une manière de faire la ville qui implique d’avantage les citoyens ; qui ne neutralise pas des friches pendant des durées interminables ; qui laisse la place à la fois à l’expérimentation et à la notion de maîtrise d’usage qui nous paraissent des idées essentielles.

Cyrille Poy : La ZAC est un outil particulier, vous nous aviez habitué à d’autres formes d’approches pour faire la ville. En quoi le projet Saint-Vincent-de-Paul s’inscrit dans cette dynamique pour vous ?

Jean-Louis Missika : Qu’avons-nous fait ? Nous avons essayé de tirer les leçons de Réinventer Paris et de voir comment on pouvait transformer le mode de fonctionnement traditionnel d’une ZAC avec ces manières de faire. C’est vrai que ce n’est pas la même chose. Dans un cas, les Réinventer Paris consistent en un transfert de droit réel, de cession de terrains qui appartiennent à la Ville. Dans une ZAC il y a l’idée d’aménagement d’un morceau de ville plus grand ­— même si ce n’est pas tout à fait le cas pour le projet Saint-Vincent-de-Paul — ce sera le cas pour Bercy-Charenton ou pour gare des Mines.

On a simplement essayé d’infuser quelques idées essentielles. Par exemple, que les équipes doivent être pluridisciplinaires, que dans la mesure du possible ce ne soit pas une compétition sur les prix, que ce ne soit pas le choix d’un promoteur, que l’architecte n’arrive pas après, que la conservation soit prise au sérieux : 60% des bâtiments du site de Saint-Vincent-de-Paul vont être conservés. C’est une nouvelle façon d’appréhender une zone d’aménagement concerté. Il y a aussi tout ce que nous avons appris des appels à projets urbains innovants. Je pense aux matériaux bio-sourcés. Nous voulons que le projet Saint-Vincent-de-Paul soit 100% bio-sourcé, et on se rend compte que c’est possible. Et puis, ce que nous allons garder des Grands Voisins c’est l’idée que le socle commercial ne soit pas consacré uniquement à du commerce traditionnel, mais puisse faire la place à l’économie sociale et solidaire, à l’artisanat et à tout ce que nous avons vu éclore lors cette expérience des Grands Voisins.

Cyrille Poy : Est-ce que ce sont des méthodologies de projet que l’on pourra retrouver ?

Jean-Louis Missika : Déjà Grands Voisins 2, nous l’avons appelé préfiguration. Dans le mot préfiguration il y a quand même l’idée que l’urbanisme temporaire imprègne, informe et documente l’urbanisme définitif. Nous avions un défi majeur avec une organisation de cette taille — au plus fort des Grands Voisins, plus de 150 associations, start’up ou structures — c’était leur départ à terme.

On nous avait dit « vous allez voir quand vous allez leur dire de partir ! ». Eh bien, nous avons vu. Cela s’est passé… à part un épisode au conseil du 14e arrondissement, de façon absolument parfaite. Il faut remercier vivement les trois associations qui ont géré ça au cordeau. Cela nous permet aujourd’hui, non seulement de continuer à le faire systématiquement pour nos sites, mais également de dire aux bailleurs et aux propriétaires privés : vous pouvez le faire. Et nous avons déjà beaucoup d’exemples comme le Welcome City Lab dans la tour Gamma, gare de Lyon qui est accueilli par Gecina. C’est un incubateur de Paris&Co consacré à l’innovation dans le tourisme. Nous sommes en conversation avec la copropriété de la tour Montparnasse pour voir comment nous allons faire. En ce qui concerne nos sites, Plateau Urbain en gère un dans le 19e arrondissement. Nous travaillons aussi sur la gare des Mines-Fillettes dans le 18e, sur Bercy-Charenton dans le 12e arrondissement…

Certains de ces sites sont des friches, sans bâtiment, cela veut dire qu’il faut réfléchir aussi en termes de construction éphémère à moindre coût avec des architectes. La nouvelle génération s’intéresse beaucoup à cette question de l’architecture de l’urgence. Mon sentiment est que cette façon de faire vivre la ville va se systématiser, devenir de plus en plus professionnelle. C’est vraiment fondamental, c’est une manière de mieux faire vivre les quartiers. On imagine ce qu’aurait été ce quartier s’il avait été entièrement fermé et gardienné, cela n’aurait pas été du tout la même histoire.

Cyrille Poy : Un mot sur la transformation de l’équipement mutualisé Pinard ?

Jean-Louis Missika : C’est la partie non visible de la transformation. Ce super équipement se traduit par le fait que nous allons faire travailler ensemble au niveau de la Ville de Paris, la DFPE (Direction des Familles et de la Petite Enfance), la DASCO (Direction des affaires scolaires de la Ville de Paris), la Direction de la Jeunesse et des Sports, afin que l’équipement soit mutualisé et fonctionne au-delà des activités de chacun. Cela amènera des changements très concrets en matière d’ouverture au public, d’horaires et de services offerts. Ils sont dans une logique extrêmement positive. Au départ, on doit dépasser quelques habitudes et quelques réticences, mais une fois que la dynamique est enclenchée, ce qui est très intéressant, c’est qu’elle génère des idées nouvelles et une approche nouvelle de ce qu’est un équipement public de proximité à partir du moment où on vise la mixité et la mutualisation.

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