Immeuble Lepage

Le logement parisien abordable

01 février 2022
Projet Saint-Vincent-de-Paul / Vue d'ensemble © Ayoji Beltrando
Le bâtiment Lepage dans le projet Saint-Vincent-de-Paul 
© P&MA / Anyoji Beltrando / My Lucky Pixel


Avec le bâtiment Lepage, la Foncière de la Ville de Paris réalise à Saint-Vincent-de-Paul les premiers logements parisiens en Bail Réel Solidaire (BRS) : une nouvelle forme de logement à prix modéré dans un marché inaccessible pour beaucoup.

Entretien avec Sophie Lecoq, directrice de la Foncière de la Ville de Paris

Le bâtiment Lepage est le premier immeuble résidentiel parisien commercialisé en BRS. Quel est ce nouveau dispositif d’acquisition et pourquoi la Ville de Paris le promeut-elle ? Le Bail réel solidaire (BRS) est un montage juridique qui opère une dissociation économique entre le foncier – le terrain sur lequel est construit l’immeuble - et le bâti – « les murs » -. L’organisme de foncier solidaire, ici la Foncière de la Ville de Paris, reste propriétaire du foncier tandis que les ménages acquièrent le bâti par le biais de l’achat des droits réels portant sur leur logement.  Habituellement, dans le prix de vente d’un bien, les deux composantes, le bâti et le foncier, sont indifférenciées. La dissociation permet de réduire considérablement le coût d’un logement à l’acquisition : environ 5 000 euros le m2 dans le cas du bâtiment Lepage, contre 10 000 euros le m2 en moyenne à Paris. En effet, l’acquéreur finance uniquement l’achat des droits réels grâce à un emprunt bancaire classique, et verse également mensuellement une redevance foncière à la Foncière de la Ville de Paris, qui reste propriétaire du terrain et le loue en quelque sorte aux ménages pendant toute la durée du bail. Cette redevance est limitée à 2,5€/m2/mois, permettant aux ménages de concentrer leur effort financier sur l’achat du bâti et la constitution d’un capital. En outre, ce dispositif permet également de sanctuariser l’investissement public, puisque l’OFS demeure propriétaire du terrain et que le logement ne peut être revendu qu’à des ménages sous plafonds de ressources à un prix plafonné (prix initial indexé sur l’indice des coûts de construction).

Dans un marché parisien très dynamique, où l’accès des classes moyennes à la propriété est extrêmement difficile au vu des prix atteints, le BRS ouvre une opportunité exceptionnelle dont la Ville de Paris a absolument voulu se saisir. Le besoin est très fort, le succès exceptionnel de la commercialisation des 23 appartements de l’immeuble Lepage le prouve : 2 691 candidatures ont été reçues et traitées !

Comment la sélection s’est-elle faite parmi toutes ces demandes ? Le processus de sélection est absolument transparent et objectif. Un premier tri s’effectue sur la base des deux critères légaux que sont les plafonds de ressources des ménages et l’occupation du logement à titre de résidence principale, et d’un critère de capacité financière du ménage à acquérir le logement, évalué par le biais du taux d’effort (l’endettement rapporté aux ressources) plafonné à 40%. 2/3 des dossiers ont été écartés lors de cette première étape, souvent parce que le taux d’effort dépassait les 40% prévus.

Restaient 625 dossiers qui ont été cotés, lors d’une deuxième étape, en fonction de dix critères publiés sur le site de la Foncière, dont, par exemple, le statut de locataire du parc social, la composition familiale, la primo-accession, l’implantation à Paris, le handicap… Pour chaque appartement en vente de l’immeuble Lepage, les cinq candidats les mieux classés ont été retenus et leur dossier a été présenté à une commission d’attribution composée d’élus de la majorité et de l’opposition, de la mairie centrale et de la mairie d’arrondissement, de personnalités qualifiées, ainsi que de représentants des bailleurs sociaux.

Le respect du plafond de ressources lié au dispositif est nécessaire lors de l’acquisition. Mais que se passe-t-il ensuite si le ménage voit ses revenus augmenter ? Seuls les critères d’éligibilité lors de l’acquisition sont pris en compte.  Si les revenus de l’acquéreur augmentent par la suite, il pourra quand même rester dans le logement. L’idée n’est pas de pénaliser des trajectoires ascendantes de la classe moyenne parisienne. Le public visé par le BRS (à titre d’exemple, les ménages sélectionnés à Saint Vincent de Paul comptent un nombre important de professeurs, de chercheurs, de fonctionnaires de l’APHP, des ministères ou des collectivités territoriales) ne connaît de toute manière pas a priori de trajectoires de revenus exponentielle au cours de sa carrière.

Le prix demeure significatif pour les classes moyennes, mais très attractif à Paris. À ce tarif est-on vraiment propriétaire de son logement ? Oui, on peut le dire. On en est propriétaire pour une durée de 99 ans, durée du bail réel solidaire. Et si le ménage arrivait en fin de bail (ce qui semble peu probable) ou s’il souhaite revendre son logement, il est assuré de pouvoir le faire au prix où il l’a acheté, indexé sur l’indice des coûts à la construction (ICC).  Le bien est en outre transmissible aux ayant-droits en cas de décès : si les héritiers respectent le critère de ressources, ils deviennent à leur tour propriétaire pour 99 ans ; dans le cas contraire, ils doivent mettre le bien en vente et récupèrent ainsi de sa valeur, soit son prix d’achat initial indexé sur l’ICC.

Le bâtiment Lepage présente une autre caractéristique, celle d’être un projet d’habitat participatif… Cela signifie que ces acquéreurs participent très tôt à l’élaboration du projet aux côtés des architectes et de la maîtrise d’ouvrage, assurée par Paris Habitat. Ils ont même participé en amont au choix de l’architecte, l'agence suisse Dreier Frenzel Architecture + Communication, en étant membres de la commission de sélection de la maîtrise d’œuvre ! Les acquéreurs dans le cadre du BRS se sont donc engagés à respecter une charte de participation et les 118 candidats présentés à la commission de sélection devaient rédiger une lettre de motivation exposant leur intérêt pour ce projet participatif. Plusieurs séances de questions-réponses ont été organisées dans le cadre de cette réflexion participative, et nombre d’interrogations portaient sur le vécu et la gestion de l’immeuble à longue échéance. Les participants se projetaient véritablement comme des acteurs durables de leur habitat commun.

Coursive partagée, Coopérative CODHA, Genève © Dreier Frenzel
Coursive partagée, Coopérative CODHA, Genève © Dreier Frenzel


Quelles sont les perspectives de développement du BRS à Paris ? 
Le principe du BRS a été posé dès la loi Alur (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) de 2014. Mais, il a fallu du temps pour mettre en place tout le dispositif technique complexe qui permet de le mettre en œuvre. La Foncière de la Ville de Paris a été créée en décembre 2019 et elle a commercialisé son premier programme seulement quinze mois plus tard. Jusqu’au terme de la mandature, 1 000 logements seront proposés en BRS aux Parisiens, notamment aux familles des classes moyennes et modestes dont le maintien dans la capitale est primordial et rendu très difficile par l’évolution du marché immobilier privé. Lepage a été commercialisé le 6 avril dernier, la prochaine opération le sera fin 2022. Il est important de souligner que, quel que soit le devenir de ces logements (transmission, revente), ils resteront ad vitam aeternam des logements abordables, soustraits des dynamiques spéculatives qui peuvent être à l’œuvre sur le marché privé. En effet, la Foncière de la Ville de Paris reste propriétaire du foncier, et les ménages propriétaires en BRS ne peuvent revendre leur logement qu’à d’autres ménages sous plafonds de ressources, sélectionnés par la Foncière de la Ville de Paris, et à un prix fixé dès l’origine au prix d’achat indexé sur l’ICC. Par ailleurs, ils complètent parfaitement l’effort de la Ville en faveur du logement locatif social. D’une part, en offrant à certains la possibilité d’un parcours résidentiel à Paris — devenir propriétaire après avoir été locataire social — d’autre part, en libérant des logements chez les bailleurs sociaux parisiens. Le BRS n’a absolument pas vocation à se substituer au logement social, mais bien à se développer comme une offre complémentaire.

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